À l’évidence, nous continuons de croire que nous habitons la terre à la manière dont l’homme le fait depuis toujours, les pieds posés au sol et le ciel dans les étoiles. Autrefois les pieds nous conduisaient loin, mais toujours sur terre ou sur mer et les yeux contemplaient et dévoraient le ciel mais aussi l’étudiaient. Entre les deux, les mains faisaient le reste et le cerveau encodait et décodait ces messages sans jamais se lasser.
Pourtant, une sorte de doute nous envahit chaque jour un peu plus, celui qui nous conduit à imaginer que la terre se dérobe sous nos pieds. Non pas que le sol ait disparu, mais l’idée que nous avons de la manière d’habiter la terre, elle, s’effondre dans nos esprits. En fait ce sont nos repères qui s’effacent. Sur terre, nous sommes tout simplement perdus.
Gao Jié pour sa nouvelle exposition, intitulée S’enraciner dans son jardin, sans nous donner d’explication sur cette perte des repères, en prend acte. Ou plutôt il la met en scène, dès le début de son exposition, en nous forçant à plonger dans la nuit et à nous diriger vers un vague point rouge lointain. Chaque pas fait dans la nuit nous rassure et nous perd un peu plus, puisqu’il est accompagné d’un point rouge qui s’allume mais s’éteint aussitôt.
Notre courage sera récompensé. Nous allons pénétrer dans notre nouveau jardin. Pas beaucoup de fleurs, ni d’arbres, ici, mais bien l’évocation de ce qui est notre univers, la ville. Cette évocation se fait avec délicatesse. Rien ne semble montrer ou incarner la ville, mais tout est fait pour nous renvoyer à ces facteurs qui sont encore susceptibles de fonder notre existence, de prétendre nous enraciner.
Le jardin dans lequel nous pouvons encore prétendre prendre racine et un jardin mental. C’est le jardin de la pensée. Quant aux fleurs, plantes, arbres qui le peuplent, ils n’ont plus rien de végétal. Ce sont des dérivés du monde urbain. C’est la ville qui est devenue notre jardin et les fleurs ne sont rien d’autre que l’ensemble de combinaisons possibles que nous devons d’ores et déjà inventer, de ces relations que nous devons en effet refonder à partir de rien ou presque entre notre corps et notre environnement. En faisant cela, nous réinventons aussi l’espace, un espace nouveau, un type d’espace qui correspond à ce monde en mutation.
Sculpture, dessins, installations, tous les éléments de cette exposition tendent à participer à l’invention d’un nouveau langage, un langage susceptible de nous permettre de nous sentir chez nous dans la ville. À nous de chercher dans ces œuvres nouvelles de Gao Jié, des éléments capables de nous aider à nous orienter dans le monde.
Jean-Louis Poitevin
Ivry sur Seine
18.06 - 31.07.2013
28bis, rue Barbès 94200 Ivry sur Seine