« I DO NOT CARE est une exposition collective que j’ai imaginée en contournant les usages discursifs des commissariats, en m’éloignant de leurs classiques logiques de thème ou fil conducteur. Ici, l’objet scénographique est de tisser des liens invisibles entre les artistes sélectionnés. En offrant à qui regarde un affût, depuis ce bel espace, pour considérer avant tout le rapport sensible voire intime aux œuvres choisies dans cet unique dessein ».
Les grandes toiles de Clément MANCINI, qui a commencé par le graffiti, offrent une approche radicale de la matière. Enduites de plâtre façonné à la truelle qu’il étale, étire, gratte, elles font apparaître des stries, des brèches, des lignes, des irrégula-rités, des saillies recouvertes ensuite d’acrylique. On regarde cette séquence avec une immense émotion, celle de se perdre dans une toile profonde et infinie, sensuelle et insondable, tel un paysage pur et idéal dont on ne souhaite plus se détacher.
Émerveillement absolu pour les aquarelles de Léo DORFNER qui célèbrent avec éclat et beauté le corps. L’âpreté de ses gros plans de la peau, des yeux, des mains et de la bouche fascinent au-delà des messages émotionnels et sensoriels que l’artiste nous envoient non sans malice. Les tatouages et les verbatim sont au service de son esthétique poétique, éloge ultime du désir. Ou plutôt des désirs au plu-riel aussi considérables et intenses que les images que Léo puise inlassablement sur Internet. Puis, il les assemble et les juxtapose pour qu’elles se réincarnent en élégantes rimes de poèmes, souvent parsemées de fleurs évocatrices de séduction, sexe, amour, amitié et d’une héroïque et irrépressible mort.
Tout simplement, Clara RIVAULT capture l’insaisissable. Elle l’enferme dans une bulle à l’aide d’une corde de jute. Cette bulle a été gonflée par des souffles d’air, puis emprisonnée et entravée par des nœuds, pour finir accrochée en suspension du sol au plafond. Cette idée lui est venue de l’artiste japonais Nobuyoshi Araki dont les photographies l’ont beaucoup inspirée, en cherchant à invoquer un processus de contrainte et d’oppression, une sorte de captivité mentale. Ainsi est né « Shibari », qui signifie en japonais « attaché-lié », une pratique ancestrale japonaise de torture du XVème siècle destinée à immobiliser les prisonniers. L’artiste a délibérément choisi un verre soufflé opalin dont la teinte et les reflets lui donnent un aspect de bulle de savon dit « Savon », datant du Moyen-âge, et qui évolue au fil de la journée selon la luminosité pour modifier notre perception.
Le travail de Clément BAGOT nous embarque dans un merveilleux voyage imaginé de toutes pièces. Qu’il travaille à plat ou en volume, ses œuvres nous dirigent vers des paysages architecturaux inconnus, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, de la terre au ciel. Le dialogue entre ses dessins et ses sculptures se construit sur les notions d’espace, d’échelle et de lumière. L’observation des détails obnubile notre regard pour le happer à l’intérieur des œuvres, pour l’inviter avec délicatesse à péné-trer mentalement dans ses « archi-structures » pensées comme des vaisseaux spatiaux ou des villes de science-fiction et bâties sur le mode de la prolifération modulaire et cellulaire (pour les dessins), bien qu’inhabitables, en détournant librement des matériaux de récupération tels que des cartons, des plastiques thermoformés, des agrafes et des plaques d’inox.
Les compositions façonnées par Rob MILES, formé au Royal College of Art de Londres, semblent beaucoup l’amuser. Que ce soient ses dessins, ses peintures, ses collages mais aussi ses lithographies, qu’il élabore souvent par Séries, il aime avant tout saturer l’espace. Les scènes et les lieux qu’il reproduit sont, bien qu’irrémédiablement empreints d’une grande force architecturale, d’une sublime banalité : un bar, une cuisine, une salle de classe… Oscillant entre le mi-figuratif et le mi-abstrait, il dispose les éléments tels un puzzle ou une mosaïque, tantôt avec la fragmentation, tantôt la transparence ou l’effacement, et toujours avec de multiples perspectives. S’agit-il de saynètes, de décors, de plans, ou encore de rêves, il nous faudra interroger l’artiste…
Les dessins et peintures à l’huile de Karine ROUGIER évoquent sa fascination, de-puis son enfance en Côte d’Ivoire, pour les rituels de magie, l’envoutement des corps, les animaux sauvages. C’est ce désir de croire au merveilleux et au sacré qui inspire son travail dont il émane une vibration indicible, une force mystérieuse. Les êtres sont reliés entre eux, dans des rondes suspendues, les corps sont enlacés, des baisers sont échangés, des rites costumés sont célébrés, les mains ne man-quent pas de s’effleurer. Les œuvres de Karine nous font penser à un poème, à une musique, où le réel et le rêve reliés par des liens mystérieux se confondent dans une lévitation délicieusement charnelle parmi une faune et une flore surnaturelles.
Aux confins des territoires du design, Louis GARY conçoit des objets-sculptures aux formes simples et rassurantes composées de cercles et rectangles qui nous évoquent les jeux auxquels, enfants, nous aimions nous adonner lorsqu’il s’agissait d’emboîter ces géométries pour ériger maisons, châteaux ou voitures… Il nous in-vite ainsi à « considérer le monde, les gestes et les choses alentour ; mes pièces, dit-il, sont à la fois les étapes, les traces et les résultats d’un geste artistique ». Cette Série de bas-reliefs décoratifs très « pop art » non dépourvus d’humour représente le quotidien et ses petits tracas lus avec un presque regard d’enfant libre, sensuel, sentimental et poétique. Des couleurs pastel fraîches et douces. Il ne s’agit pas de céramique(s) mais d’une alliance de bois, polystyrène et d’enduit minéral peint. On regarde avec envie, gourmandise et bonne humeur.
Commissaire d'exposition : Marianne Dollo
I DO NOT CARE (Cur. Marianne Dollo): CLARA RIVAULT, CLÉMENT BAGOT, CLÉMENT MANCINI, ROB MILES, KARINE ROUGIER, LÉO DORFNER, LOUIS GARY
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